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Plan d’urgence : une mise au point

par | 17 Mar 2021 | Réflexions de fond

Vous arrive-t-il fréquemment de rester figer un instant, à la pensée d’un événement majeur survenant sur vos collections ?

S’il est en ce moment-même une période propice à conjuguer nos réflexions au conditionnel, l’acceptation d’un tel scénario est un premier pas vers la réduction du risque encouru. Comme un pied-de-nez à la morosité ambiante, une situation ressentie comme instable nous offre toutefois l’opportunité d’envisager toutes les éventualités. Ne reste maintenant qu’à transformer nos « et si » en « comment ».

Comment faire face à un incendie, une inondation ? En toute bonne foi, on peut penser qu’un plan d’urgence résoudra toutes nos problématiques. Que l’on peut refermer le tiroir, avaler la clé et dormir paisiblement. S’il un tel projet permet de se prémunir contre les éventualités, il ne suffit pas d’adapter une structure existante sans analyser la situation de chaque institution au préalable. Il n’existe pas sous nos cieux un document normé, ou un cadre préexistant à adapter en toute simplicité. Chaque institution comporte ses propres spécificités, qu’il faut absolument analyser et intégrer dans le processus d’élaboration.

 

Dommages sur une pendule de table après une inondation : dislocation de tous les éléments par gonflement et chocs, résidus de déchets évacués par les eaux (journaux, matières organiques). © HE-Arc Conservation-restauration

La survenance d’un événement majeur engendre une peur latente, et s’en prémunir grâce à un plan d’urgence rassure.

Si le besoin de répondre à nos angoisses est humain, on aurait par contre tendance, en envisageant des scénarios de risque majeur, à laisser tomber notre pragmatisme et s’enliser dans le fatalisme. Car il est plus simple de penser que « de toute façon, on n’y peut rien : si ça brûle, ça brûle ». Cela pousse à croire que la survenance d’un sinistre est hasardeuse et liée à des facteurs non maîtrisables, ce qui est faux : sans pousser le vice plus loin, les sinistres sont très souvent dus à des causes techniques, et donc anthropiques. Ce n’est pas pour autant une cause perdue ! Un fatalisme ambiant occulte les solutions de prévention existantes ; et celles-ci permettent d’éviter bien des drames.

En premier lieu, avant de se lancer dans un plan d’urgence, évitons donc que les sinistres se produisent ! Focalisez-vous sur les risques de feu, d’inondations, ou même de séismes, ou tout autre spécificité de votre environnement, climat et bâtiment. Prenez des renseignements auprès des services techniques et référez-vous à des événements qui se sont déjà produits, même de moindre ampleur. Constituez un petit groupe de travail interne à l’institution est un premier pas, faire appel à un consultant est idéal pour pousser l’analyse des risques plus loin.

Nous avons brièvement aperçu ce qui peut arriver, voyons maintenant ce que cela peut engendrer : des dégâts sur le bâtiment, sur l’équipement, ou pire, sur les collections. Quelles sont les priorités ? Le bâtiment possède-t-il une valeur historique similaire aux collections ? Existe-t-il des collections plus sensibles, ou stockées dans des zones susceptibles d’être plus endommagées ?

Aïe, et c’est là que ça fait mal : si un plan d’urgence peut nous aider au sauvetage des collections lors d’un sinistre global, en cas d’évacuation totale vous imaginez mal l’intégralité de votre collection sur le trottoir. Des choix doivent ainsi s’opérer : en deuxième lieu, listez les objets ou œuvres prioritaires, en estimant le temps ou le nombre de personnes nécessaires à leur prise en charge. Il faut en tout cas concevoir le volume de ce qui a le plus d’importance et comment le manipuler. Gardons en tête qu’un plan d’urgence n’est formellement pas -et c’est bien dommage- une gigantesque couverture anti-feu que l’on peut appliquer sur l’ensemble de la zone sinistrée.

Mais concrètement, à quoi ressemble un plan d’urgence ?

Le terme un peu moins officieux « plan de sauvetage des collections en cas de sinistre » est l’organisation d’une structure permettant la prise en charge des collections en cas de sinistre. Le document Word que l’on imagine tous représente donc une partie de cette organisation, mais vous imaginez bien qu’il ne suffit pas d’un plan d’évacuation similaire à celui affiché dans votre chambre d’hôtel pour sauver tous vos Van Gogh. Les outils organisationnels sont le nerf de la guerre : organisation des ressources humaines (hiérarchie des rôles, listes de contacts), matérielles (identification des dommages probables et comment traiter les collections), spatiales (où évacuer, où stocker, où traiter), etc. Le plan numérique, lui, est plutôt un mémento exhaustif utile dans une situation d’urgence où le bon sens peut lui aussi partir en fumée.

Séchage de la pendule de table et d’un sac de peau en maximisant l’évacuation de l’humidité des volumes et en créant un flux d’air chaud grâce à un chauffage d’appoint. © HE-Arc Conservation-restauration

L’élaboration d’un dispositif de sauvetage en cas d’urgence nécessite plusieurs étapes.

La mise en place d’un tel projet en institution peut prendre plusieurs mois, voire années : n’ayez pas peur de délais longs, on parle ici d’un travail de fond consistant, viable à long terme.

      • Constitution d’un groupe de travail consultatif à l’interne de l’institution (directeur-trice, conservateurs-trices, restaurateurs-trices, techniciens-nnes, etc).
      • Elaboration de scénarios de risques : identifier plusieurs scénarios et analyser qualitativement les dégâts engendrés (une analyse quantitative intègre plutôt une analyse des risques poussée). Ces scénarios de risques seront le fil rouge du processus et répondent à la question « à quoi faut-il s’attendre ? ».
      • Conception des outils organisationnels : identification des besoins des collections de survenance des scénarios envisagés, listing des besoins des ressources humaines, matérielles, spatiales, organisationnelles.
      • Schématiser les protocoles de sauvetage, réunir méthodiquement les données dans un document concis, organiser les mises à jour.
      • Echanger et communiquer avec l’ensemble des acteurs de l’institution, les services d’urgence, et éventuellement les autorités politiques.
      • Réaliser des exercices, dans un premier temps afin de vérifier l’exhaustivité du plan, et ensuite régulièrement afin de tenir à jour les acquis.

    En bref, le but ici n’est pas une check-list anti-sinistre exhaustive, mais plutôt une amorce pour toute institution vers plus de pragmatisme et une première identification des points de friction dans la gestion des risques majeurs.

    Si un plan d’urgence permet de se prémunir au mieux contre les éventualités préalablement identifiées, celles qui surviendront pourraient ne jamais ressembler à aucun scénario envisagé. Et c’est bien cette marge hasardeuse qui justifie la nécessité d’un tel dispositif : qui saura prédire le déroulement-même du sinistre, et -non pas des moindres- la gestion émotionnelle des acteurs de ce dernier ? Si le plan d’urgence ne ressemble pas à un bouclier géant, il permet finalement de conjuguer les bonnes ressources, au bon moment !

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