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Prévenons ! Lumière sur la conservation préventive | Partie 1

par | 13 Jan 2021 | Réflexions de fond

« On me demande d’évaluer le volume de nos collections et de choisir le mobilier adapté. Je n’ai aucune idée de la manière dont on s’y prend. »

Cette bribe de conversation fut attrapée au vol dans l’open space d’un musée dans lequel j’effectuais un de mes derniers stages de cursus. Frappée par l’aveu du conservateur, je fus d’autant plus surprise qu’il ait gardé son vœu secret, sans prendre à partie, entre deux cafés, la future spécialiste en conservation préventive de la place. Je n’aurais pas eu de réponse toute faite, mais aurais pu le rassurer : des moyens simples et peu couteux existent, viens, je te montre.

J’ai régulièrement été frappée de constater combien ma discipline de prédilection, même au sein de musées d’envergure honorable, restait obscure. Pourtant, ces musées appliquent des mesures de conservation à leur échelle et se satisfont de leur efficacité. Les gants sont ajustés, le climat surveillé, l’anthrène souvent piégée. Mais peu d’entre eux sont conscients d’une mise en perspective de la conservation préventive dans des projets de vaste ampleur : on la considère souvent comme un ensemble d’actes isolés, et non pas comme un outil organisationnel et rationnel global, dont les effets peuvent perdurer au-delà du simple événement.

Une définition : la gestion de l’environnement des biens culturels

A l’instar du slogan dont sont affublés les sacs poubelles (pardon, sacs de revalorisation) du canton de Neuchâtel, « Les matières, ça se gère ». A l’image de nos déchets ménagers revalorisés par des méthodes adaptées à chaque matériau, la valorisation des biens culturels passe, elle, pas leur préservation à long terme, dont la gestion matérielle de ces aspects est le nerf de la guerre de la conservation préventive.

La définition de cette dernière n’a pas subi de grands changements depuis la fin des années 1970, les principes de base restent les mêmes. Je tente la suivante :

« La conservation préventive est l’ensemble des actions agissant sur l’environnement des biens culturels, au-travers plusieurs strates, dans le but d’assurer la préservation de ces derniers. »

L’audacieux objectif nécessite plusieurs tâches afin d’étendre les mesures à large échelle. Selon moi, ces 3 sont les plus importants :

1. Identifier les sensibilités des matériaux constitutifs des biens culturels.
2. Identifier, analyser, éviter ou bloquer les facteurs de dégradation.
3. Pondérer et hiérarchiser les risques identifiés entre facteur de dégradation et objet. L’analyse des risques permet cette vision pragmatique.

Etape du constat d’état lors d’un chantier de collection.

Conservation préventive VS conservation-restauration

Dans le spectre de la préservation des biens culturels, la définition proposée ci-dessus se situe à l’autre extrémité de la restauration, dont l’activité agit de manière directe sur les objets. En cela, la conservation préventive promet une action sur une plus large échelle.

On ne peut opposer les deux activités de ce même spectre; toutefois, il m’apparaît évident que la conservation préventive n’est pas le parent pauvre de la conservation-restauration. Longtemps les activités de conservation préventive « pure » relevaient du domaine professionnel de la « technique » de musée, résultant une méconnaissance ainsi qu’un manque de reconnaissance de la discipline. Aujourd’hui encore, nombre de restaurateurs étoffent leurs prestations en proposant de la conservation préventive de dernier recours, sans y accorder la valeur que de telles offres méritent. Et pourtant, en Suisse, seule la formation Bachelor à Neuchâtel propose une formation complète et solide en conservation préventive, offre bien inégale au sein d’un campus national composé de 4 écoles.

L’efficience des outils de conservation préventive nécessite parfois une connaissance fine des processus de dégradation des matériaux constitutifs (tâche 1) : la conservation-restauration et la conservation préventive s’empruntent donc conjointement des connaissances techniques. Ce qui revêt toutefois purement de la conservation préventive, ce sont les connaissances fines des facteurs de dégradation et de leur portée, ainsi que la vision pragmatique de l’analyste des risques. A cet égard, la conservation préventive peut tenter de quantifier un ensemble de dégradations, proposant ainsi une identification précise des besoins, et ainsi apporter la réponse la plus adaptée.

En attente du conditionement.

Un outil de gestion de projet

Construire et mener un projet sous l’égide de la conservation préventive devient maintenant aisément imaginable, et légitime. Elle peut devenir un outil de conception : la conservation préventive n’est plus cantonnée à la seule réalisation d’un ensemble de gestes préventifs.

A l’amorce de tout projet de conservation à grande échelle, qui n’est pas tenté d’élaborer une liste de prérogatives, laissant ses considérations personnelles hiérarchiser subjectivement les risques cités. Sous l’œil de la gestion des risques, une hiérarchisation quantifiée, à l’aide d’outils simples, permet une gestion de projets efficace, en écartant certains risques qui nous semblaient prioritaires de prime abord ou au contraire pointer d’autres problématiques moins visibles ou évidentes.

En ajoutant une dimension temporelle dans cette gestion des risques, on s’assure de respecter les contraintes budgétaires durablement, et ainsi mieux répartir les coûts globaux de conservation.

Conditionnement de rigueur pour des ensembles fragiles.

La sensibilisation avant tout

Les perspectives de la conservation préventive semblent donc extrêmement intéressantes pour toute institution patrimoniale, de toute envergure. Le champ d’action global de cette première permet d’identifier en profondeur une problématique et de tracer les lignes d’une amélioration durable de la préservation des biens culturels.

Une approche pragmatique nous garde la tête froide et débloque des leviers à l’échelle organisationnelle d’un établissement : la mise en place d’un plan de sauvetage ou d’un plan de conservation global devient un processus accessible.

A la suite de ces belles paroles, un effort continu en matière de sensibilisation doit toutefois être fourni par les professionnels-les du domaine. Dans notre imaginaire collectif, chaque œuvre bénéficie d’un traitement spécifique conséquent, l’une après l’autre; les réserves, quant à elle, sont bien souvent inexistantes.

Déconstruire ces idées reçues à l’échelle du grand public impactera sous doute la vision du personnel de musée en matière de conservation, l’aidant ainsi à se réapproprier une discipline à la portée insoupçonnée !

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